Les JO de Moscou 1980 vus par Alain Lebas

Premier succès en K1 CAPS (catégorie des débutants en course en ligne) à Vichy en 1968. Début d’une belle carrière ? Pas si simple, rien n’est écrit d’avance. Il aime aussi s’amuser : les deux-roues motorisés, les copines… Le verdict tombe lors des championnats de France : il est battu par ceux qu’il battait auparavant. Profondément vexé, il ne sera plus jamais battu ni en CAPS ni en club. Début d’une motivation inébranlable et d’une très belle carrière.

 

 

 

 

 

 

Je me souviens qu’après les JO de Montréal en 1976, en début d’olympiade moscovite et dans la continuité du travail effectué avec Jean-Paul Hanquier en K2 1000 m, ce furent encore des quatrièmes places assez indigestes aux mondiaux de 1977 et 1978. En 1978, je me souviens surtout de notre médaille d’argent en K2 10 000 m. Ensuite, j’ai changé d’équipier et aux mondiaux de 1979, en K2 avec Francis Hervieu, nous avons enfin obtenu le bronze sur 500 m et la cinquième place sur 1 000 m. Cela a confirmé notre participation en K2H 500 m aux JO de Moscou.

 

CONTEXTE TENDU MAIS JEUX BIEN ORGANISÉS

La France, pour marquer le boycott de ces Jeux par plusieurs pays, n’a pas participé à la cérémonie d’ouverture ni à celle de clôture. Le premier contact au village olympique fut un contrôle méticuleux de tous les athlètes pour obtenir la fameuse carte d’accréditation pour s’installer au village.

Le bassin olympique et le bus fédéral. — Coll. B. Basson-Knopf

Dès le lendemain nous allions sur le lieu de compétition pour découvrir le bassin, il était magnifique, avec sur le côté, un canal de retour pour ne pas perturber le bassin de compétition. Les installations étaient grandioses avec une grande nouveauté concernant les départs. Par le passé le bateau était tenu par une personne  dans une petite embarcation, ici une personne fixe un système de ventouse sur l’arrière du bateau et par l’intermédiaire de vérin électrique ça permettait de faire  avancer ou reculer les bateaux pour les aligner et, au coup de pistolet, les ventouses libéraient l’embarcation.

Quelques jours avant le début des compétitions, la fédération proposa de modifier les inscriptions auprès du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF). Initialement j’étais inscrit en kayak biplace sur 500 m et 1 000m avec Francis Hervieu, et au vu de mes dernières courses en monoplace la fédération a souhaité m’inscrire en kayak monoplace sur 1 000 m à la place du kayak biplace. Ce qui ne me déplaisait pas en soi mais personnellement j’aurais vraiment souhaité doubler K1 et K2 1 000 m avec Francis Hervieu, ce qui aurait été moins frustrant vis-à-vis de mon coéquipier.

Alain Lebas et Francis Hervieu en K2H. — Coll. A. Lebas

Début des courses le mercredi avec les premières séries du K2 500 m. Avec Francis nous terminons deuxième de notre série derrière les Espagnols.

Le lendemain début des épreuves de 1 000 m, j’abordais la compétition avec une certaine inquiétude, je n’avais pas vraiment de repère sur ma valeur mondiale. De plus, je me retrouvais dans la série la plus difficile avec le Roumain et l’Australien, 2e et 4e  des derniers championnats du monde, et un Russe dont nous ne connaissions pas la valeur. Au départ de la série j’avais d’excellentes sensations en prenant dès le début la tête de la course pour ne pas la quitter jusqu’à la fin. Non seulement j’étais satisfait de ma course, mais j’avais réalisé le meilleur chrono de toutes les séries.

Le vendredi matin, lors de demi-finale du K2 500 m, nous nous qualifions pour la finale qui se déroulait l’après-midi.

L’attente entre les courses, Valérie Leclerc entre Francis et Alain. — Coll. B. Basson-Knopf

La finale ne s’est pas déroulée comme nous aurions souhaité. Le départ ne fut pas excellent, et après 150 m de course nous étions en 8position. Heureusement nous avons pu nous ressaisir au 250 m pour finalement terminer 4e  derrière l’URSS intouchable avec Parfenovitch /Chukhrai, second les Espagnols et troisième les Allemands de l’Est.

Après une nuit très agitée à rêver de podium, je me préparais pour ma demi-finale du K1 1 000 m. Ce n’était pas la demi-finale la plus accessible mais j’étais confiant. Finalement j’ai terminé à la deuxième place (avec le troisième meilleur temps des demi-finales) derrière le Suédois.

Que rêver de mieux pour un athlète que de se retrouver en finale aux Jeux olympiques avec l’espoir d’une médaille ? Mais les quelques heures avant le départ c’est un peu l’angoisse, on se pose plein de questions, la météo commence à se dégrader, le vent et la pluie peut venir perturber la course, on est impatient de connaitre son couloir… J’espérais être au milieu du bassin, proche de l’Allemand de l’Est Rüdiger Helm qui semble être le grand favori. Manque de chance avec le tirage au sort des lignes d’eau, je me retrouve au couloir 9 alors que l’Allemand est au couloir 5.

Juste avant le départ de la finale, j’essayais de me détendre avec un casque sur la tête le walkman en bandoulière à écouter « Gaby » d’Alain Bashung. Ensuite je suis passé dans les mains de Fredi  Allemann notre kiné préféré pour un dernier massage avant de partir m’échauffer sur l’eau. Quand j’ai pris le bassin d’échauffement pour accéder au départ, la pluie a commencé à tomber et là,  panique, l’huile de massage commence à couler sur mes mains et sur le manche de la pagaie. Dans la précipitation, j’ai dû m’arrêter et chercher du sable ou de la terre pour m’essuyer les mains et dégraisser le manche ma pagaie (un peu stressant à quelques minutes de la finale). Finalement je suis arrivé parmi les derniers coureurs pour m’aligner au départ.

Alain Lebas arrive second en K1 H. — Coll. A. Lebas

Au coup de pistolet j’ai pu prendre un départ correct mais je ne retrouvais pas les sensations que j’avais eu sur les courses précédentes. Au 250 m j’étais à la 6e place. À partir de ce moment, j’ai commencé à remonter progressivement : 4e au 500 m puis quasiment au niveau du premier Rudiger Helm au 750 m. En fin de course, j’ai vu que le Roumain au couloir 8 commençait à remonter. J’ai pu faire le forcing pour maintenir ma position et c’est uniquement en franchissant la ligne d’arrivée que j’ai constaté que j’étais deuxième… et ce n’était pas un rêve ! C’était l’aboutissement de dix années d’efforts, de sacrifices.

Le bateau sur lequel j’ai couru était un lancer en bois fabriqué au Danemark par Struer. Ma pagaie était une Struer longueur 2.22 m en bois (pagaie plate). Le carbone n’avait pas encore fait son apparition ni les premières pagaies Wing très creuses qui sont apparues en 1986.

Podium du K1H 1 000 m Lebas (FRA)-Helm (RDA)-Birladeanu (ROM). — Coll. A. Lebas

Le podium fut évidemment un moment inoubliable avec un regret toutefois de ne pas voir le drapeau tricolore flotter ce jour-là à cause du boycott[1].

L’ambiance des JO de Moscou était assez austère en comparaison de mes précédents JO à Montréal en 1976 qui ont été beaucoup plus chaleureux et festifs.

Le bassin d’échauffement n’avait pas de balisage, mais vu qu’il y avait un militaire tous les 50 m finalement ils étaient nos repères lors des entraînements.

 

Alain Lebas (janvier 2024)

Témoignage recueilli par Jean-Paul Cézard

 

Les témoignages n’engagent que leurs auteurs.

 

[1] Le CIO permit à un certain nombre d’athlètes qualifiés de participer aux Jeux sous bannière olympique alors que leur pays participait au boycott. Pendant les Jeux, les médias soviétiques évitèrent de nombreuses équipes notamment la France du fait du soutien affiché de leur gouvernement au boycott. Drapeaux et hymnes non joués laisseront place au drapeau et à l’hymne olympique.

 

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